Le manège de Robert, par sa fille

« Robert, je te l’ai déjà dit, le jardin et ton cabanon ne sont pas la décharge municipale ! »

« Robert, le compteur électrique a encore sauté ! »

« Robert, pourquoi y a t-il de la peinture verte sur le carrelage de la salle à manger ? »

Voilà les exclamations qui n’ont cessé de fuser pendant au moins vingt ans — depuis que Robert était à la retraite. Robert, qui tout petit rêvait de garder des moutons sous un olivier dans ses Alpilles en Provence tout en sculptant un petit bout d’olivier, justement a vu sa vie basculer lorsque ces oliviers, toujours eux, ont gelé en 1932, obligeant  toute la famille à déménager pour trouver du travail dans une fabrique de soie, où son père trouva un emploi de maréchal-ferrant. C’est là qu’à dix ans, Robert a rencontré Yvette, l’amour de sa vie, qui le restera jusqu’à ses derniers jours. Il a donc changé de projet et en 1946 il est devenu Agent de maitrise à la société Nationale des poudres et des explosifs de son nouveau village, Sorgues, dans le Vaucluse, tout près de Châteauneuf du Pape.

L’heure de la retraite allait sonner et son côté un peu pessimiste (qu’allait il faire de tout son temps libre ?) a fait que nous, ses deux filles, avons eu l’idée de demander à ses nombreux copains de lui offrir un tour à bois comme cadeau de départ. Oui, mais il fallait en plus lui donner des idées, car au tout début il manquait un peu d’inspiration, alors, chacune à notre tour, nous avons posé les questions suivantes :

« Dis papa, est ce que tu serais capable de faire une table en bois, circulaire, avec en pyrogravure (une autre nouvelle passion) tous les légumes que j’aime ? »  

« Dis papa, tu pourrais me fabriquer une lampe avec un pied en escalier en colimaçon ? »  

« Dis papa, j’ai une copine qui vient d’avoir un bébé, je voudrais faire un cadeau original : tu ne veux pas me créer un porte manteau avec des zèbres, des lions…. ? »

Bon sang, un seul homme avec trois femmes, il n’allait pas les laisser croire qu’il n’était pas capable de relever les nombreux défis !

Ouf, ça y  est, le déclic avait lieu, la magie opérait, et il s’est mis à fabriquer tant et tant d’objets que notre maison, puis celle de ma sœur ou la mienne en ont été très vite remplies. Et si par malheur nous n’avions plus d’idée, il lui fallait inventer, tester. Si bien que nous avons eu une période « poterie » ( qui a été un échec cuisant, il faut le reconnaitre). Le mobile avec des abeilles en soie, destiné à Vivien son petit fils et monté sur un moteur de robot marie a vu ses bestioles s’envoler définitivement dans le jardin du voisin au premier essai car le moteur tournait trop vite ! Et puis il lui fallait aussi des matières premières à bon marché car maman trouvait parfois que le budget « bois » était un peu élevé.. ! Alors il a eu une idée de génie, à ses dires : fréquenter assidûment la décharge municipale, au grand dam de son épouse, car nous avons vu très rapidement son cabanon puis le jardin envahis de toutes sortes d’objets récupérés dans les poubelles des autres. C’est ainsi qu’une vieille banquette pratiquement pourrie a donné le jour à une superbe balancelle de jardin, solide comme on n’en trouve nulle part ailleurs, et je mets au défi Monsieur Bricolage ou autre jardinerie de me prouver le contraire !!

Quant à la mine de pièces que l’on peut récupérer dans un téléviseur des années 70, personne ne la soupçonne ! Sauf nous, qui avons vu naître entre autre ce manège, créé avec un moteur de moulin à café, des boites de biscuits « brun » et des résistances de téléviseur. « Il n’y a pas que dans le cochon que tout est bon » disait il en riant à ma mère qui râlait tout de même pas mal, pour le principe !

Voilà donc l’histoire de ce manège qui fonctionne encore très bien, alors que son créateur nous a quittés en nous laissant tant de souvenirs de fous rires et d’émerveillement — car souvent sa créativité dépassait notre imagination.

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