Le petit et le grand violon, par Françoise Gérard

Mon père était tisserand dans la journée et musicien dès que la nuit tombait. A l’usine, quand ses métiers à tisser ne lui donnaient pas de fil à retordre et que les navettes filaient bon train au rythme des fouets qui les repoussaient d’un côté puis de l’autre avec un claquement sec, il sortait de sa poche un morceau de bois qu’il taillait avec son canif. À la maison, nous avions ainsi toute une collection de petits violons qu’il avait sculptés au fil du temps. Or, un jour, alors que nous préparions la fête de notre école maternelle, la maîtresse demande si l’un ou l’une d’entre nous peut apporter un instrument de musique. Je réponds immédiatement avec enthousiasme que mon père joue du violon. Elle a l’air très contente et je me sens tout excitée. Hélas, mon père a besoin de son violon, c’est pour lui un outil de travail, il ne peut pas prendre le risque qu’il soit endommagé, c’est un instrument qui coûte cher, il n’aurait pas les moyens d’en acheter un autre. D’ailleurs, je suis bien trop petite pour tenir entre mes bras un violon de cette taille ! Pour me consoler, il me propose de choisir l’un des plus beaux violons miniatures de sa collection… je n’ai pas le sentiment que la maîtresse s’en contentera, je reprends le chemin de l’école déçue et inquiète… Mon intuition était bonne, la maîtresse a éclaté de rire en entraînant l’hilarité de toute la classe ! La collection des petits violons a été dispersée, beaucoup ont été donnés ou perdus. Celui que j’ai conservé a été malmené, il n’a plus de cordes, plus de chevilles, plus d’âme… mais le grand violon de mon père, que j’ai reçu en héritage, est, lui,  resté intact !

Françoise GÉRARD

Le vent qui souffle

7 réflexions sur “Le petit et le grand violon, par Françoise Gérard

Répondre à charef Annuler la réponse.