Cette régule de Charles Ruchot (1871-après 1932), intitulée La gloire couronnant le travail, offre en symbole du travail un forgeron. Ce n’est pas un objet familial, mais une pièce de ma collection de forgerons. Les lions qui l’encadrent n’en font pas partie. Elle appartient à double titre – le monde ouvrier et la forge – à ma mythologie intime.
Mon grand-père maternel, Charles (1887-1954), était forgeron. On disait de lui qu’il avait des mains d’or : j’ai admiré en particulier le modèle réduit d’une locomotive, qu’il avait construit. Ma grand-mère, Léontine (1888-1966), était lavandière, avec ce que cela supposait de pénibilité supplémentaire dans le Jura où, l’hiver, il fallait alors casser la glace pour accéder à l’eau.
Le feu, et l’eau…
Lorsque je suis née, mes poumons ne s’étaient pas développés correctement. Je fus donc ondoyée, pour « risque de mort ». La même nuit, un gros orage se déclenchait. Au premier coup de tonnerre, j’ai crié : j’étais sauvée.
L’eau, et le feu…
Mircea Éliade évoque dans Forgerons et alchimistes le pouvoir magique des forgerons qui savent dompter les pouvoirs du feu et sont capables, par exemple, de guérir les convulsions des nourrissons. Quant aux lavandières, souvent associées aux divinités aquatiques et aux fées, elles apparaissent dans moult récits populaires. Je me souviens qu’un des voisins de ma grand-mère avait détruit des nids d’hirondelles, alors que les œufs venaient d’éclore. Ma grand-mère, hors d’elle, l’a publiquement maudit. Coïncidence, il est mort quelques mois plus tard. J’ai été grandement impressionnée ! J’entrais, à 10 ans, dans le monde du mystère qui, en dépit de toute ma rationalité, continue à m’intéresser.
Côté paternel, c’était aussi le monde ouvrier, que couronne ici symboliquement l’allégorie. Toute la famille, à Paris, travaillait dans l’imprimerie. Non plus l’eau ni le feu cette fois, mais l’encre, symboliquement supposée d’origine diabolique… Est-ce totalement un hasard si j’ai édité le traité du juge bordelais des sorcières, Pierre de Lancre ?
Double hérédité ouvrière dont je suis fière, mais aussi, du côté de l’imaginaire, magique. Aurait-elle – qui sait ? – décidé de l’une des orientations de mon travail de recherche : la représentation textuelle de la sorcellerie ?
Dernier clin d’œil du destin – ou du signifiant : l’étymologie la plus souvent donnée de mon nom d’épouse, Lefèvre. Il aurait signifié en ancien français le forgeron…

Que cette régule soit dotée de pouvoirs magiques vaguement diaboliques … on ne s’en étonnera pas ! C’est un alliage à base d’antimoine ! et le nom même de « régule » (de rex, regis, le roi) révèle l’espoir que les alchimistes nourrissaient de le changer, un jour, en or, le roi des métaux.
Mais plus fort encore que le pouvoir de l’objet, celui du mot, et du nom !!