Le Blüthner, d’Isabelle Sivan

J’étais venue avec mon professeur, Monsieur De Léglise, un vieux juif, qui se vantait d’être né en 1937, l’année de la mort de Maurice Ravel. Une annonce dans La Centrale des particuliers nous avait amenés dans un coin de banlieue, je ne sais plus laquelle. Au milieu des rubriques de voitures d’occasion, elle disait : À VENDRE : Blüthner. Quart de queue. 1920. Leipzig. Bois de palissandre, ivoire, cordes croisées. 35 000 francs.

Le piano nous attendait au milieu du salon. Appuyé sur son coffre, son propriétaire avait du mal à sourire. À la mort de son compagnon, pianiste, il avait hérité de l’instrument dont le silence lui était devenu insupportable. Il devait absolument s’en séparer. À une condition cependant. Qu’il ne finisse pas dans une maison de campagne fermée la moitié de l’année. Il voulait que l’on continue à en jouer souvent, régulièrement.

J’ai soulevé le couvercle du piano. Une odeur de bois s’en est échappée. Je me suis assise. Et je lui ai promis.

Depuis 25 ans, chaque jour, sous les touches du Blüthner, chante le souvenir d’un homme que je n’ai pas connu, avec moi, le chagrin de celui qui l’aimait.

Isabelle Sivan

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