J’aime sa forme incurvée de bois blond patiné. Douce, accueillante, elle est parfaitement adaptée à son usage : rassembler le beurre dans la baratte et l’en extraire avant de former la motte et de la presser dans son moule.
Combien de fois ai-je aidé ma grand-mère à actionner la machine installée dans la grange ? J’étais fascinée par ce lait crémeux à peine sorti du pis qui tournait au jaune après quelques coups de manivelle. En sortait un beurre délicieux à lécher d’un doigt ou à tartiner sur des tranches de pain plus larges que les battoirs du grand-père. Le fin du fin : un saupoudrage de chocolat à moustaches par-dessus.« Onctueux », je me souviens du mot, aussi accordé à ce qu’il désignait que la cuiller à sa baratte. Je ne connaissais pas à l’époque l’appellation « lait ribot », juste le « petit lait » qui devait bien posséder son équivalent en breton. Ce babeurre accompagnait les galettes de blé noir, autre rituel hebdomadaire.
Chez mes parents, c’est moi qui avalais les kilomètres à pied pour acheter la motte de la semaine dans une ferme des environs. Chacune possédait sa forme en bois à l’ovale rainuré,ornée au centre de sa marque distinctive: une fleur, une rosace, une vache…
Un tel beurre ne se fait plus, excepté dans les rares fêtes de village où des paysans motivés recréent les activités d’autrefois. Le délice fabriqué à cette occasion s’arrache comme les petits pains qui vont avec.
Cette cuiller à beurre a longtemps servi de décor dans la salle à manger de mes parents. Elle se repose aujourd’hui chez moi, sans autre motif que sa beauté. La machine en métal a, quant à elle, disparu dans le grand remembrement de la modernité. J’ai conservé cependant une baratte en grès sans savoir si elle lui appartenait. Plus probablement venait-elle de mon autre grand-mère, moins outillée. Cette jarre, qui a perdu sa partie en bois, est l’une des rares survivantes de son époque, tous les objets en terre cuite ayant fini en tessons dans le poulailler : pots, bouteillons, chaufferettes… Le progrès des années 60 faisait table rase des « vieilleries ».
Aujourd’hui, cette baratte accueille fièrement les visiteurs au seuil de ma maison, gardienne des parapluies et des bâtons de randonnée. La cuiller ne lui tient pas rigueur de la préséance.
Merci de partager la mémoire de ces outils. Celui-ci fait remonter bien des images ! De la ferme du Petit changeons, à Avranches, où j’allais chercher le lait, au sous-sol de mon grand-père, qui ne faisait pas le beurre, mais le salait pour sa conservation en le tournant et retournant de sa grande cuiller en bois. Sans parler des crêpes dominicales…
Très joli texte à la nostalgie subtile.