La bague à l’améthyste, d’Anne Poiré

Quelques semaines après le décès de papa mourait sa mère, Marguerite, tous deux emportés par un cancer. Dans son chagrin, occupée par ses sept enfants, Maman a laissé ses beaux-frères et belles-sœurs vider la maison de ma grand-mère et elle a hérité, notamment, d’une bague en or, surmontée d’une améthyste d’un violet profond, couleur que je n’ai pas tout de suite reliée au deuil, au demi-deuil. Et pourtant !

Maman, fidèle à mon père, à son souvenir, n’en a jamais fait un bijou de séduction. Au contraire, même. Elle l’a virilisée, dés-érotisée, en quelque sorte, la surnommant sa « bague d’évêque », comme si ainsi elle se protégeait de tout risque de galanterie. J’ai lu depuis que Dionysos, Bacchus, chez les Romains, dieu du vin, prétendait séduire Amethystos, nymphe qui désirait rester chaste. Tiens tiens ! Moi qui ne bois jamais une goutte d’alcool, j’ai souri en découvrant que le nom de cette pierre signifie en grec « préserver de l’ivresse, la contenir » ! J’aime ces clins d’œil de l’existence…

Si maman la portait peu, uniquement pour les occasions exceptionnelles, elle en faisait grand cas, toutefois, la rendant quasi inestimable à nos yeux. Petite fille, j’en admirais la transparence, la couleur, translucide, son écrin d’or ciselé, quatre pétales d’or finement travaillés, à la fois massifs et délicats : une fleur, épanouie, que maman exhibait à son annulaire lors des « grands jours ». À son décès, mes frères ont décidé de ce que je devais mettre dans ma voiture. J’ai emporté des cartons, sans savoir ce qu’ils contenaient. Surprise, à la maison, j’ai découvert la boîte à bijoux, et ce « trésor » de mon enfance. J’ai envisagé tout récemment de l’offrir à ma sœur aînée pour ses 70 ans. Mais cette dernière n’a pas un attachement particulier aux objets, la valeur affective ne fonctionne pas chez elle comme chez moi : elle revend, transforme, jette. Déposer au musée la photographie de cette bague, c’est déjà la préserver. J’ai aussi rencontré une psychologue, parlé avec elle de l’ambivalence, parfois, de maman, et, par contrecoup, de la mienne. J’ai finalement décidé de conserver cette bague, héritage familial, et même de la porter, parfois, peut-être. Si elle matérialise le deuil, par sa pierre, elle reflète aussi la transmission. Mieux encore : elle offre l’image de la vie, par son ornement végétal, rayonnant, ouvert, lumineux pour l’éternité.

Anne Poiré Guallino– Dimanche 26 mars 2023

La bague d’évêque

Rien de religieux dans cette fleur d’améthyste aux pétales d’or, surtout pour moi qui suis totalement athée. Néanmoins, maman l’appelait ainsi : sa « bague d’évêque ». Pour elle, si discrète, c’était une trop grosse pierre, ostentatoire, qu’elle n’osait glisser à son annulaire que pour « les très très grandes occasions ». Petite fille, je l’admirais. Trésor irremplaçable, je le convoitais comme un sucre d’orge. Je jouais à l’occasion avec la boîte à bijoux de maman, sortant des chaînes cassées, des médailles mordillées par chacun d’entre nous, les sept enfants, bébés. J’étais sûre que cette splendeur — que je n’osais toucher — jamais ne me reviendrait.

Comme j’ai été surprise de la retrouver, si minuscule, finalement, réduite à sa simple réalité, loin de mes fantasmes rêveurs. Moi qui porte du pur plastique, coloré, clinquant, grand format, comment ai-je pu m’enthousiasmer pour cet anneau, si classique? Maman en a hérité à la mort de ma grand-mère paternelle, Marguerite Poiré, en décembre 1974. C’était un cadeau de l’une de mes tantes. Thérèse ayant vécu durant des années à Madagascar, ce joyau vient de cette île lointaine. De cette grand-mère me restent peu de souvenirs. Lorsqu’on quittait sa maison, sur le seuil de la porte, elle m’appelait « mon piabiqui », mon petit biquet, en caressant gentiment mes boucles rousses. Dans sa chambre, dont j’ai tout oublié, sur un meuble bas, reposait une main en porcelaine. Cadeau commercial : me revient soudain le nom de cette marque, « Avon », de cosmétique, si éloignée des préoccupations plus spirituelles de notre mère. Sur Internet, j’ai trouvé un tel baguier vintage. Ce porte-bijoux représentait tout sauf notre supposé bon goût familial, et je m’étonne d’avoir gardé en mémoire cet objet populaire, vraiment inélégant, plutôt que le piano sur lequel « la Mamy » avait donné des cours et dont avait également dû jouer mon grand-père, organiste de sa commune.

Curieux, comme cette bague d’évêque me conduit loin de maman, finalement, plus près de la famille Poiré. Lorsque je me renseigne sur ces fameux produits de beauté, je découvre qu’en 1886 le fondateur de cette entreprise s’est lancé dans l’aventure pour mieux vendre… des livres : en parfait commercial, il offrait un flacon de parfum à la rose, inventé par lui, à quiconque dépensait de quoi lire ! En 1939, la société a d’ailleurs changé de nom en hommage à Shakespeare et sa ville natale : Stratford-on-Avon. La littérature, déjà, toujours là. Boucle ainsi bouclée (non celle de mon indomptable chevelure) : l’autre souvenir, de cet héritage, de 1974, ce sont tous ces ouvrages, jaunissant — des bibliothèques entières — arrivés à la maison. Du haut de mes neuf ans, je les ai compulsés, classés, rangésavec délectation. Cet anneau qui n’a rien d’épiscopal, à la lumineuse pierre taillée, à l’or travaillé, ciselé, alchimie merveilleuse, dégage donc pour moi le parfum rieur et chaleureux, furtif, composite, de ma tante, de ma grand-mère, de ma maman… Et des livres aussi.

Anne Poiré – Samedi 25 mars 2023

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