Les ruines ne sont belles que d’avoir trop vécu, lorsque les siècles ont patiné les pierres, les pluies infiltré les murs, quand la nature s’est glissée dans les ciments fragiles et que, lentement, le temps a brouillé les lignes ajoutant du flou et de la poésie à la rigueur architecturale.
Les ruines de guerre, elles, sont sans le moindre charme. Elles ne disent que l’horreur, la destruction : elles hurlent la mort.
Dans Ruines, son dernier livre, Pierre Lepape évoque un lieu détruit de son enfance, la ville du Havre bombardée les 10 et 11 septembre 1944 par l’aviation alliée. Il se souvient de l’enfant de quatre ans découvrant ce paysage dévasté, avec à l’horizon, sans que rien ne fasse obstacle au regard, éternelle et « toujours recommencée » : la mer.
En lien avec la lecture de ce livre, une jeune amie havraise qui n’a connu la ville que reconstruite, m’a avoué l’incontrôlable tropisme qui la pousse à retourner sur la plage du Havre à la recherche de ces galets particuliers que la mer a roulés comme n’importe quel caillou, mais qui ne sont pas des cailloux. Reconnaissables à leur taille et à leur couleur, les gros galets de mon amie Florence sont des fragments de maisons détruites par les bombardements. Briques et sable mêlés, modelés par les vagues depuis des décennies, ils sont la mémoire vive de la ville pulvérisée, son souvenir, son remords.
Florence m’a offert un de ces galets rouge et gris. Il est sur mon bureau, et nous vivons ensemble. Lui à qui la Manche a ôté ses arêtes de douleur, moi dans le souvenir de l’homme aimé qui écrivait sa ville meurtrie.
Sur la plage du Havre, les vagues n’en finissent pas de rouler et vomir des fantômes.
Texte magnifique qui fait écho à mes préoccupations intimes.