Les cartes d’identité des vaches, par Marie-Claire Prothais

Au départ je n’y connaissais rien à l’agriculture. Après le bac, j’ai passé un diplôme d’infirmière. Et j’ai travaillé à l’hôpital général de Clermont, pendant 6 ans.

S’agissait pas de rigoler. J’étais sérieuse.

Puis j’ai rencontré un agriculteur. Et on s’est marié. J’ai été infirmière pendant un an après mon mariage puis on a repris la ferme. Mais mes beaux-parents étaient attachés à leurs occupations sur la ferme : la traite, l’élevage des veaux, les trois cochons, la vente du lait au détail. Ils n’avaient pas cinquante ans ! ils ont donc continué leur travail, me permettant d’élever mes quatre enfants et de faire partie d’un groupe d’agricultrices où j’ai appris la comptabilité.

Au début, huit – dix vaches composaient notre troupeau. On trayait les vaches, enfin, mon mari, à l’aide de bidons accrochés avec des sangles sur le dos des vaches. C’était déjà mieux que la traite à la main ! Le lait était aspiré électriquement. Puis nous avons agrandi le troupeau, A la fin elles étaient quarante-cinq. Et installé une salle de traite. Les vaches étaient suivies tous les mois par un contrôleur : elles avaient toutes un nom et un numéro accroché à l’oreille par le contrôleur.

Je faisais la silhouette dans un carnet : elle est noire avec des taches blanches, ou l’inverse : je zébrais pour le noir et pour le blanc je laissais tel que. Et je mettais la date de naissance, le nom de la vache, Marguerite, Joséphine, selon l’inspiration et l’initiale imposée par l’année. . Je tiens beaucoup à mes petits carnets. C’était les cartes d’identité des vaches, mais elles ne les gardaient pas dans leur sac !

Plus tard… j’ai vendu le lait et servi le lait. Et j’ai fait du fromage blanc et des crèmes vanille ou chocolat, et de la crème fraîche. Un producteur de fraises venait en chercher.

On n’avait pas le droit de dépasser un seuil de lait. Le surplus, on l’écoulait comme ça (crèmes…)

Ma vie d’agricultrice, ça a été de la compta, du dessin, de la transformation du lait.

Maintenant il n’y a plus de ferme. Il y a encore les bâtiments, mais plus de ferme. C’est rare, que les fils ne reprennent pas.

Les agricultrices travaillaient sans statut à la ferme mais payaient la cotisation vieillesse et la protection sociale à la Mutualité Sociale agricole. Mon mari n’a jamais bu de lait. Il ne supporte pas.

Je faisais des macarons avec la peau du lait. On mettait les cuillères sur la plaque, ça s’étalait, c’était bon, la pellicule craquait et croustillait un peu. D’en parler, j’en ai la salive dans la bouche.

Le camion de la laiterie de Clermont passait à 4 heures du matin. Pendant longtemps je me suis réveillée à 4 heures . et heureusement ! Une fois, on avait un mariage le samedi. On avait fait appel au service de remplacement dans les fermes pour les traites du samedi soir et du dimanche matin. Quand le gars du service de remplacement est arrivé le dimanc he, j’ étais réveillée, je regarde pour voir si tout se passe bien : le remplaçant avait mis le tuyau par en haut et le lait sortait par en bas ! il aspirait et vidait aussitôt : il n’avait pas fermé la bonde du tank ! j’ai vite couru le lui dire !

On n’avait jamais de vacances. On en a pris la première fois quand notre aîné a eu 14 ans, les autres avaient 12, 10, 4 ans. En vacances 8 jours en Alsace, en VVF… Le rêve. Notre fils nous avait dit, il n’y a que nous qui ne partons pas ! il a plu tout le temps, mais c’était bien.

J’ai sans doute trop parlé de ma vie d’agricultrice, mais comment parler de cet objet précieux, mon petit carnet, sans l’entourer de sa raison d’être !

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Marie-Claire Prothais a présenté ces  carnets à la bibliothèque de  Bailleval dans le cadre de la résidence d’auteur d’Ella Balaert à la Médiathèque Départementale de l’Oise autour des objets de mémoire  de la femme au travail.

7 réflexions sur “Les cartes d’identité des vaches, par Marie-Claire Prothais

  1. Merci pour ce partage. Savez-vous que vous pourriez-déposer une trace de ces carnets à l’APA, l’association pour l’autobiographie, créée par l’irremplaçable Philippe Lejeune ? Avec un texte bien plus long, pour raconter avec émotion, comme vous le faites ici, ce vécu unique et émouvant. Bien sûr, vous pouvez conserver les originaux pour vos enfants… Mais des photocopies trouveraient vraiment leur place à l’APA, à Ambérieu-en-Bugey !

  2. Il est très joli votre texte : pourquoi ne pas l’envoyer aux « Impromptus littéraires » dont le thème d’écriture est cette semaine, de partir d’une photo. Car je l’ai trouvé émouvant, intéressant et je me réjouirais que vous nous racontiez un autre épisode de votre vie.

  3. A la suite de ce récit, Marie-Claire et moi avons parlé notamment pâtisserie, car je me souviens très bien des « gâteaux à la peau de lait » que ma mère cuisinait. J’allais chercher le lait à la ferme. Et jusqu’à l’apparition à la maison des anti-monte-lait, un petit rond de verre alvéolé, j’étais chargée de surveiller le lait quand on le mettait à bouillir. Il fallait le laisser monter et redescendre trois fois, pour élimination complète des microbes ou bactéries. Quand il refroidissait, ça faisait une sacrée couche de cette fameuse peau crémeuse. Encore maintenant, j’aime bien laisser le lait monter et refroidir jusqu’à formation de cette pellicule, qui vient tout entière quand on l’attrape par un bout…

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